Pis toi, le télétravail? Et la solitude?

Avant de parler du télétravail forcé des derniers mois au magazine Moteur de recherche animé par Matthieu Dugal sur les ondes de Radio-Canada Première ce jeudi 20 août en duo conso avec le collègue Stéphane Garneau, j’ai fouillé et cogité un brin : voici les traces de mes efforts! Et pour entendre en différé la discussion à trois, c’est par ici !

Bureau en forêt en début de pandémie

Je suis travailleuse autonome, donc une habituée du travail à la maison. J’ai un petit bureau bien aménagé mais sans système de ventilation fancy, dans mon sous-sol en ville. Et quand je rentre dans mon coin de forêt des Laurentides, une vieille table Ikéa qui remonte à la fin des années 80, assortie à une chaise qui-a-déjà-été-ergonomique, me tient lieu de bureau dans ma chambre à coucher. Avec mon portable, le quai, le sofa, même les marches peuvent me tenir lieu de bureau.

Quand est arrivé le Grand Confinement, je croyais que ça n’allait pas changer grand-chose pour moi : je travaille déjà beaucoup à distance, quelques semaines sans déplacements, ça allait me permettre de dormir un peu plus, de moins polluer et peut-être d’enfin rattraper des retards dans la numérisation de ma paperasse…

Rapidement, je me suis réfugiée en forêt, même si mon espace de travail n’y est pas optimal. Tout ce que j’aime de la portion urbaine de ma vie était à l’arrêt : pas de spectacles, pas de musées, pas de tapas dans un resto, et pas mal moins de revenus : aussi bien en profiter pour être plus près de mon papa, faire pousser mes légumes (tomates cerises, miam!) et être dans un environnement où les risques de contamination sont beaucoup plus faibles que dans mon Hochelag d’amour. De toutes façons, mes services de pigiste étaient pas mal moins sollicités en personne : spectacle au théâtre annulé, pas de répétitions en salle, pas de pub à tourner, pas de voix à enregistrer en studio… Ne restait qu’un peu de radio à faire au téléphone, même la chronique télé était arrêtée.

[MILIEU DE VIE REMIS EN QUESTION PAR LE TÉLÉTRAVAIL]
Le télétravail a amené beaucoup de personnes à remettre en question leur milieu de vie, transformé du jour au lendemain en « milieu de toute dont on ne sort presque jamais » (travail, vie amoureuse, vie familiale, vie sociale, gym, même cabinet de psy!). Certains ont fui leur petit appart pour leur chalet, d’autres ont profité de leur fin de bail pour s’installer à la campagne de façon permanente.

Selon le Pew Reseach Center, la COVID aurait amené 3 % des adultes américains à déménager de façon permanente et 6 % ont vu une personne nouvelle s’installer chez eux. Au sein des villes, plusieurs ont trouvé leur appartement soudainement mal adapté à leurs besoins. Selon le New York Times, 420 000 New Yorkais – parmi les plus nantis pour la plupart – avaient fui la métropole au 1er mai.

La courte lune de miel…
Au début, mon nouveau quotidien de télétravail sans sortie me semblait plutôt positif, dans le contexte. Malgré la pandémie, les morts, l’incertitude économique, j’appréciais vivement mes privilèges : la connexion Internet était peut-être lente et instable, les coupures d’électricité un brin surprenantes, la chaise inconfortable, l’imprimante sans recto-verso, mais j’étais capable de m’acquitter de mes quelques tâches à distance.

En prime, mon chum était toujours autour, au lieu d’être sur la route, lui qui enseigne autant à St-Jérôme que Québec et Montréal, et dont les clients sont autant au Burkina Faso que dans l’Ouest canadien : pour notre vie à deux, c’était comme être en vacances tous les jours : on pouvait manger ensemble et le chien avait droit à une double ration de câlins et d’attention, yé! Et mon père nous faisait (et le fait encore!!!) notre pain!

Je découvrais de nouveaux outils (allô Zoom, Google Meets, Whereby!), j’embrassais tout ça avec grand enthousiasme : j’ai même lancé une initiative de création en ligne, le #30joursdecourtes, du 17 mars au 17 avril. J’étais motivée : j’aime le changement, je crois en notre capacité d’adaptation et j’avais besoin de rester active.

Cohabitation et cotélétravail
Mais de « wow, on est en vie et en santé, on a plus de temps ensemble, nos proches vont bien, on vit dans un bel environnement pis on arrive encore à travailler à distance au moins un peu », je suis graduellement passée à l’étape du réalisme, avec entre autres le « ouin, c’est pas évident le télétravail 100 % du temps, à deux, dans un même lieu à aire ouverte! ».

[VIE DE COUPLE ET TÉLÉTRAVAIL]
Ceux et celles qui vivaient déjà avec leur amoureux ou qui ont décidé de s’installer ensemble pour ne pas vivre le Grand confinement en solo, ont dû intégrer à leur cohabitation le cotélétravail. Si selon un petit sondage Angus Reid, 20 % des couples montréalais et torontois indiquaient en juillet être plus amoureux qu’au début de la COVID, on s’inquiète pour le 80 % restant! Passer 24h sur 24h ensemble, travailler dans les mêmes espaces, passer de longues heures chaque jour avec des écouteurs sur la tête pour ne pas entendre les conversations de l’autre, ça n’est pas facile pour tous.  

Et pour certain.e.s vivant de la violence à la maison, le télétravail ouvre la porte à encore plus d’occasions de subir de mauvais traitements. L’Actualité rapportait que 10 % des Canadiennes et 6 % des Canadiens avaient « beaucoup ou énormément d’inquiétude » quant à la possibilité de violence familiale. Les entreprises ont des responsabilités en matière de santé et sécurité au travail et il faudra tenir compte de cet aspect si le télétravail perdure (par exemple en donnant la priorité pour un accès à un lieu de travail extérieur aux personnes victimes de violence domestique, mais encore faudra-t-il trouver un moyen pour ces personnes de signaler leur besoin de façon discrète!).

Bande passante de bouette
Habituellement, on se satisfaisait de notre connexion internet rurale moyenne et de notre forfait web urbain aussi moyen. Ça suffisait, parce que pour donner un cours ou pour une rencontre importante, on se déplaçait. À part quelques rares répétitions de textes au téléphone, au théâtre j’aime bien travailler en personne avec mes partenaires de jeu… Même chose, sauf de rares exceptions, pour la radio ou la télé. Mais là, pas le choix : a fallu réinstaller une ligne téléphonique filaire et augmenter notre forfait internet au maximum en campagne, avec les factures en découlant.

Même là, pas le choix : on a dû se mettre à coordonner nos horaires de télétravail pour éviter d’avoir tous les deux à participer à une visioconférence ultra importante en même temps, question d’avoir assez de bande passante. Exercice impossible certains jours, avec pour résultat qu’on a installé un abri moustiquaire en forêt au point le plus élevé de notre terrain, pour pouvoir y faire des rencontres en ligne avec notre connexion cellulaire! On en a aussi fait dans nos autos et même sur la galerie de mon père, en plein hiver, quelques kilomètres plus loin, squattant sa connexion par fibre, le luxe! Et pour tourner des capsules télé, il a fallu que je revienne en ville, question d’avoir de la stabilité. Si le Québec veut être compétitif, dans un mode télétravail généralisé, ça ne pourra pas durer, il va vraiment falloir régler les inégalités en matière de connexion haute-vitesse en dehors des grands centres urbains.

Investissements ou dépenses inutiles?
Mes dépenses liées au télétravail ont bien sûr augmenté, mais celles liées aux déplacements ont diminué. Beaucoup moins de taxis, de repas sur le pouce entre deux rendez-vous, de stationnements, de titres de transport… Ça s’équilibrait, que je me disais. Puis, question d’augmenter mes chances de travailler avec ma voix sans me rendre en studio, je suis passée en mode investissons pour devenir une pro du balado! Ça me prenait de meilleurs équipements, logiciels et connaissances : achat de licences et de nouveaux outils, inscriptions à des cours en ligne pour apprendre quelques notions de base pour les utiliser correctement.

Mon espace de répétition déserté

Alors que les factures mensuelles continuaient d’arriver avec régularité, mon lieu de répétition pour le théâtre restait vide : il a servi moins de 10h en 5 mois, et m’a généré 36 $ de revenu brut. Mon bureau partagé dans mon sous-sol en ville n’a presque pas été utilisé, même quand j’y étais. Et d’autres dépenses se pointent encore à l’horizon : après des mois d’installation bancale en forêt, la vie-de-la-chaise-autrefois-ergonomique tire vraiment à sa fin et je suis à boutte de travailler sur la table de cuisine de 1989 installée dans ma chambre.

Depuis mars, je suis clairement perdante : mes revenus ont beaucoup diminué, alors que mes dépenses se sont maintenues et que les investissements que j’ai faits par le passé pour me doter d’espaces de travail et de répétition se transforment en boulet… Et ce déséquilibre est tel que j’ai dépassé le seuil des impacts fiscaux qui compensent. Peut-être que d’ici quelques mois, mon gain d’efficacité à domicile me permettra de gagner un peu plus et de réduire cet écart. Peut-être qu’on va recommencer à travailler un peu en arts de la scène. Mais si la situation demeure telle quelle, je vais devoir me départir de certains espaces. Ou les réaménager pour leur trouver une nouvelle fonction pouvant générer des revenus. Je suis loin d’être la seule à me demander comment mieux exploiter mes pieds carrés. Il y a quelques mois, j’en jasais avec Marc-André Plasse, architecte chez Lemay + Escobar à New York, et il me disait s’attendre à ce que beaucoup de clients télétravailleurs repensent et réaménagent leurs espaces existants, non conçus pour cette vie à temps complet à la maison.

[DÉPENSES ET TÉLÉTRAVAIL]
Les travailleurs autonomes peuvent déduire la grande majorité de leurs dépenses dans leur déclaration de revenus. C’est super, sauf qu’au cours des six derniers mois, nombreux sont ceux dont les revenus autonomes ont chuté, alors que leurs dépenses augmentaient. En bout de ligne, si leur revenu net est beaucoup plus bas, toutes ces déductions sont peu utiles…  

Pour les télétravailleurs qui ont un employeur, certaines dépenses peuvent être déduites dans leurs déclarations de revenus, S’ILS OBTIENNENT un formulaire de leur employeur confirmant qu’ils sont tenus d’assumer ces dépenses. Et il y a des différences entre ce qu’autorise le fédéral et le provincial. Espérons que ça s’assouplisse d’ici la fin 2020.  

Depuis six mois, certains employeurs ont fourni des équipements informatiques et ergonomiques ou offert des montants à leurs employés pour leur aménagement à domicile, mais c’est très variable d’un employeur à l’autre. Il y a fort à parier qu’en milieu syndiqué, ces questions seront au cœur des prochaines conventions collectives. Il faudra cependant élargir la réflexion à l’ensemble des travailleurs et intégrer le tout aux normes du travail, sinon, on refile encore la facture aux travailleurs.  

Il est mignon même quand il crie, ton fils, je te jure!
Le télétravail, c’est aussi laisser entrer ses collègues dans notre espace de vie quotidiennement, par la magie des écrans. Comme mon coin désigné est dans la chambre, avec vue sur la toilette, je me suis mise à accorder un peu plus d’attention esthétique à mon environnement : mettons que je range la pile de livres sur ma table de chevet et j’fais mon lit!

J’ai aussi maintenant accès à la réalité de mes collègues qui ont des enfants : des petites voix qui se pointent avec une question en background, des « maman j’ai faim », des hurlements « ma sœur a pris ma manette de jeuuuuuuuuuuu », et parfois, des petits visages intrigués qui demandent ce qu’on fait et qui, peu impressionnés par les réponses, redirigent la discussion vers un sujet hautement plus intéressant. Comme Siméon, 5 ans et demi, fils de ma collègue Vanessa : intrigué 3 secondes par ma présence sans son, mes lèvres bougeant à l’écran mais ma voix s’exprimant dans les écouteurs de sa maman, il passe fort rapidement en mode « tiens, je vais t’expliquer mes dessins ».

De mon point de vue de nullipare, le télétravail avec des enfants, ça se résume à ces apparitions comiques plutôt cute, mais pour les parents, encore plus les parents séparés, c’est autre chose. Oui, certains ont gagné du temps en n’ayant plus à se déplacer entre la maison et le milieu de travail, oui, cela peut contribuer à un meilleur équilibre entre le travail et la famille, à la réduction du stress matin et soir et à plus de moments de qualité partagés. Mais, même si à mon humble avis ça devrait être le cas, la culture d’entreprise n’est pas toujours compatible avec le petit qui vient croquer des carottes pendant une visioconférence. D’ailleurs, si ça se produisait pendant un tournage ou un enregistrement pour la radio, on ferait tous le saut 😊!

Mais soyons réalistes : le télétravail forcé qu’on vit depuis mars se conjugue avec des tâches parentales additionnelles dont la gestion de l’école à distance et la gestion des relations de la fratrie à temps plein! Et malgré la réouverture des CPE, les quelques camps de jour cet été et bientôt la rentrée scolaire donnant des périodes de télétravail sans enfants à certains, la situation est toujours extrêmement imprévisible : au moindre toussotement, à la moindre fièvre, les enfants sont rapatriés à la maison et tout le monde est confiné jusqu’à l’obtention d’un résultat de test négatif ET la fin des symptômes. Pour longtemps encore, on risque d’osciller entre des journées de travail sans enfants et des journées où toute la tribu est ensemble confinée, parfois dans un espace pas du tout conçu pour ça : méchant défi!

Beaucoup de femmes perdent au change…
Concrètement, tout ça a des conséquences sur les femmes. Le partage des tâches, tout autant que de la charge mentale étaient déjà loin d’être équitables avant ce déplacement vers le télétravail imposé. Parce que monsieur gagne plus, parce que la culture d’entreprise est moins souple, parce qu’on est guidé consciemment ou pas par des stéréotypes genrés, la crise a affecté les femmes de manière plus importante que les hommes et la reprise se fait de façon plus lente pour elles. Oui, malheureusement, Simone de Beauvoir a encore raison…

La Presse Canadienne rapportait il y a un mois des chiffres éloquents, compilés par la Banque Royale :

  • « 1,5 million de femmes ont perdu leur emploi au cours des deux premiers mois de la pandémie;
  • Le tiers des femmes qui ont perdu leur emploi entre février et juin n’ont pas cherché de travail, ce qui les expose à un risque plus élevé d’absence d’emploi à long terme et à de futures pénalités salariales;
  • L’emploi chez les mères de tout-petits ou d’enfants d’âge scolaire a diminué de 7 % entre février et mai, comparativement à une baisse de 4 % pour les pères d’enfants des mêmes âges;
  • Le niveau d’emploi des mères célibataires avec un bébé ou un enfant d’âge scolaire a diminué de 12 % entre février et juin, contre une baisse de 7 % pour les pères célibataires;
  • Selon l’étude, les femmes représentaient environ 45 % du déclin des heures travaillées pendant la crise, mais ne représenteront que 35 % de la reprise. »
La chanteuse Alanis Morissette a chanté sa nouvelle chanson « Ablaze » de la maison pendant le
Tonight Show en juillet, avec sa fille dans les bras. Bien sûr, la chanson s’y prêtait, de par son thème,
et la chanteuse n’est pas une télétravailleuse qui risque de perdre son emploi à cause des apparitions
à l’écran de sa progéniture… Mais c’était une brillante démonstration de la réalité du télétravail
avec un enfant : pendant qu’Alanis chante, sa fille qui lui comprime le diaphragme, la frappe avec
ses écouteurs, lui met la main sur la bouche, papote, ce que la chanteuse gère avec beaucoup d’humour.
Mais, planifié ou non, c’était éloquent de voir que dans les cinq écrans où jouaient de la maison ses
musiciens hommes, il n’y avait aucune trace d’enfants (sauf une photo de famille).

Il semblerait même que cela se traduise jusque dans les soins vétérinaires (mes excuses à la collègue Danielle Beaubien de Radio-Canada, à qui je n’ai pas donné le crédit en ondes, attribuant plutôt l’article hyperlié ci-avant à La Presse!), où la profession est surtout occupée par des femmes. On imagine facilement que vétérinaires, techniciennes et assistantes monoparentales ou pas, aient été obligées de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants, certaines quittant carrément leur emploi, d’autres réduisant leurs heures pour arriver à composer avec la présence constante de la marmaille. Et on ne serait pas surprise que la possibilité de les augmenter ne soit toujours pas au rendez-vous.

De grâce, ne me sortez pas l’argument de la PCU qui rend dont-ben-paresseuse : ces femmes éduquées gagnent beaucoup plus à faire leur métier, moi aussi d’ailleurs. Et pour plusieurs femmes vétérinaires propriétaires qui ont fait de longues études et investi d’importantes sommes dans leur clinique, ce n’est certainement pas de gaieté de coeur qu’elles ne prolongent pas leurs heures!

Encore six mois?
Mon travail à la radio reprend aujourd’hui… au téléphone. Mes chroniques à la télé recommencent en septembre via Zoom. J’avoue que j’aurais pris au moins une réunion d’équipe en personne, avec masque, visière et 2 mètres de distance. Je m’accroche à l’idée que le théâtre ne peut se faire entièrement à distance et donc que bientôt je vais voir des humains : j’ai VRAIMENT hâte, je suis en sérieux manque de relations professionnelles en personne avec mes collègues!

J’ai pu le constater la semaine dernière : pour la toute première fois depuis le 13 mars dernier, j’ai eu une journée de travail dans un studio de voix, en présence de quatre autres humains!!! J’étais tellement émue! Avoir, pendant qu’on travaille, de la rétroaction directe, à travers le sourire, le sourcil froncé, l’œil qui s’interroge, le rire retenu, le corps qui se penche vers l’avant, c’était magique! Ça me manque tellement!

Par contre, l’arrêt forcé en culture conjugué à la plus récente vague de dénonciations en matière d’inconduites a aussi fait ressortir que plusieurs contextes d’interactions au théâtre ne me manquent pas tant. Ça fait du bien de ne pas avoir à faire de rondes dans les loges en fin de soirée pour s’assurer qu’aucune collègue n’y est coincée dans une situation malaisante, mettons. À tel point que pour la 5e édition du Festival tout’ tout court (qui oui oui aura lieu en octobre 2020, en format pandémie!), mes collègues et moi avons décidé de profiter de ce moment d’éloignement pour préparer un Code de conduite et mettre en place des mécanismes pour qu’une fois de retour en vrai de vrai, on favorise un environnement plus propice à la sécurité émotive, psychologique, physique et sexuelle de chacun.e. J’ai l’impression que ces six mois ont créé une brèche suffisante pour qu’on puisse au moins essayer de repartir sur de nouvelles bases. Et réduire même les messages en ligne douteux.

Encore plus longtemps? Ou pour toujours?
Cette longue période de télétravail forcé pourrait se traduire en télétravail choisi pour plusieurs. La collègue Marie-Hélène Proulx de L’Actualité a publié plusieurs articles ces dernières semaines sur le télétravail. Dans Bye-bye bureaux, elle rapporte entre autres qu’une vaste étude scientifique en cours au Québec, menée par Tania Sabia (on peut participer jusqu’à l’automne!), et à laquelle plus de 13 000 Québécois avaient répondu, indique qu’un télétravailleur québécois sur deux était prêt à abandonner pour toujours son espace de travail au bureau. Seulement 30 % des télétravailleurs québécois indiquant préférer le 9 à 5 au bureau, et le 20 % restant étant indécis. De beaux jours devant pour l’industrie du team building dans ce contexte mixte de télétravailleurs et travailleurs en présentiel!

Beaucoup de nouvelles normes et pratiques vont émerger pour. Déjà, après des mois de visioconférences, on a de belles pistes. Marie-Hélène Proulx a proposé un bref Manuel de bienséance en télétravail : si le ton se veut humoristique, plusieurs points méritent notre attention. Comme par exemple l’importance de trouver des moyens de maintenir la vie sociale de l’équipe à distance et de prendre soin des collègues télétravailleurs en évitant de les bombarder de rencontres en ligne l’une à la suite de l’autre : la phase d’apprentissage depuis longtemps amorcée, on peut confirmer que les réunions vidéos, même quand on maîtrise toutes les fonctionnalités (et qu’on ne lit pas comme moi, à voix haute, un message que notre collègue nous a envoyé dans la messagerie privée!!!), c’est vraiment difficile sur notre cerveau et énergivore (Marie-Hélène a aussi écrit un article sur le sujet)! 

Les 10 commandements du Manuel de bienséance de Marie-Hélène Proulx publié dans l’Actualité
– Une image professionnelle en réunion tu garderas
– Aux oreilles de tes collègues tu penseras
– Une présence complète tu assureras
– Le temps de respirer à tes collègues tu donneras
– De vive voix les conversations importantes tu tiendras
– Le droit de décrocher tu respecteras
– Au poste tu seras
– À ton tour seulement tu parleras
– Tes blagues au bon endroit tu publieras
– À la vie sociale de l’équipe tu contribueras

J’ai personnellement des réserves sur un point proposé dans ce manuel, celui de ne pas envoyer de messages le soir ou les fins de semaine : je pense qu’il faut plutôt instaurer des politiques qui stipulent qu’aucune réponse n’est attendue en dehors des heures de travail de chacun.e et des politiques pour éviter que le télétravail n’envahisse tout. De grâce, ne pénalisons pas ceux et celles qui, pour arriver à tout conjuguer, décident à certains moments de profiter du dodo de la progéniture ou de la soudaine disponibilité de la bande passante pour faire avancer un dossier. Acceptons que ce soit ok qu’une collègue nous écrive un samedi soir et qu’on ne la lise que le lundi. Car non, toutes ne peuvent pas utiliser la petite fonction de programmation des courriels pour un envoi ultérieur (quand j’ai de la bande passante, c’est là que ça se passe, désolée!).

Ciao ciao culture d’entreprise d’hier! Bonjour solitude !
Les cinq derniers mois en télétravail ont beaucoup bouleversé la culture d’entreprise et l’organisation du travail : ce n’est pas nécessairement négatif, on traînait de vieux modèles et préjugés depuis longtemps. Dans bien des cas, les résultats ont été meilleurs qu’escomptés par les patrons, le télétravail se traduisant par des gains de productivité. Le virage numérique s’est enfin amorcé dans certains milieux à la traîne, et beaucoup d’organisations ont vécu – et vont vivre – des questions quant aux enjeux de sécurité des données et de confidentialité, quand les gens travaillent en dehors du bureau. Les téléconsultations en psychologie et en médecine, c’est génial, mais la sacro-sainte confidentialité de ces échanges n’est pas toujours évidente. Les fonctions de bien des gestionnaires sont en cours de réinvention, tout comme le métier d’enseignant à distance d’ailleurs, et plusieurs questions restent à résoudre pour assurer le bien-être à long terme du personnel et des collaborateurs.

Moi toute seule dans mon bureau, avant de tourner à distance une capsule pour AMI-Télé

Parmi les questions relatives au bien-être, celle qui me titille le plus, c’est l’incontournable question de la solitude. L’humain est un être sociable, et du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés coupés physiquement de plusieurs branches de notre réseau. Oui, pour certains, qui ne vivent pas seul, les relations personnelles ont pu compenser un temps, mais ça ne fait pas avancer une carrière, mettons. Après cinq mois de télétravail, privés de plusieurs occasions de contacts, formels ou informels en personne, autant les travailleurs autonomes et les solo-entrepreneurs que les employés en entreprises peuvent se sentir isolés professionnellement. Et privés de précieuses sources d’idéation, de motivation et de soutien. Pour les artistes comme moi qui ne voient toujours pas le jour où ils feront leur métier de nouveau, c’est pénible.

C’est d’ailleurs la seule chose qui m’a manquée quand je suis passée il y a une décennie du statut d’employée au statut de pigiste : mes relations avec mes collègues et employés! Je me demande encore souvent ce que Renée B ou Éric A ou Martin D ou Diane N ou *insérer ici plein de noms!* penseraient de ceci ou cela… Et même si j’ai bien vécu mon isolement professionnel des derniers mois, me retrouver face à ma collègue Vanessa – même pour travailler de manière non rémunérée! – et la semaine dernière avec des collègues dans un studio de voix pour un-vrai-de-vrai-contrat-en-vrai-de-vrai-personne, ça m’a fait un bien fou, ça m’a donné de l’élan! La rencontre avec ces humains avait autant d’importance que le boulot à accomplir : je ne voulais pas que ça finisse!

« In a 2015 research review, Golden and his colleagues found that, overall, telecommuting increased job satisfaction,
performance and feelings of commitment to an organization among employees. People who teleworked also tended to experience less work stress or exhaustion. Drawbacks included social and professional isolation, fewer opportunities for information sharing
and a blurring of boundaries between work and personal life (Allen, T.D., et al., Psychological Science in the Public Interest, vol. 16, no. 2, 2015). »

– Citation tirée d’une publication du site de l’American Psychology association intitulée The future of remote work

Mais je sais bien que je ne suis pas seule… à me sentir seule professionnellement. Bien avant que la pandémie envoie travailler à la maison des centaines de millions d’humains sur la planète, des études faisaient ressortir le danger de l’isolement social et professionnel lié au télétravail, tout en nous parlant de plein de bénéfices.

Les six derniers mois nous ont simplement permis de tester le tout à grande échelle. Oui, certains dorment plus, mangent mieux et ont gagné en qualité de vie, profitant de manière plus soutenue de leur milieu de vie et de leurs proches. Mais tout comme la vie en cubicule n’est pas faite pour tout le monde, ces six mois ont révélé à certains que le télétravail ne leur convient pas, que certaines périodes de vie ou contextes familiaux s’y prêtent moins.

Dans quelques jours, à moins d’une catastrophe, je serai de retour en salle de répétition et dans quelques semaines, en salle de spectacles, avec masque et visière, à 2 mètres de distance de mes collègues artistes et techniciens, et sans public. Pour travailler à un projet qui va me coûter de l’argent, plutôt que m’en apporter : au moins, je vais utiliser mes pieds carrés avant de m’en défaire! Mais même dans ces circonstances économiques éprouvantes, et même si le risque d’être contaminée me stresse compte tenu de ma situation médicale, je ne raterais pas ça pour tout l’or au monde! Je suis prête à mettre toute ma créativité à l’oeuvre pour trouver des moyens de travailler, même non rémunérée, au moins quelques heures de temps en temps, en présence d’autres humains! Je suis consciente qu’on en a encore pour plusieurs mois à maintenir au minimum ces occasions, mais comptez sur moi, j’arriverai en courant à Radio-Canada, à AMI-Télé et dans n’importe quel autre studio de télé, de voix ou de répétition, dès qu’on m’invitera à y revenir physiquement! Ma collection de masques est prête, j’ai du Purell pour des mois et je dégaine la lingette désinfectante plus vite que mon ombre!

2 réflexions sur « Pis toi, le télétravail? Et la solitude? »

  1. Chère Véro, bonjour ! J’ai souris en me retrouvant évoqué dans ton billet, et je me suis dit que c’était une excellente occasion de rompre une absence (présentielle aussi bien que virtuelle) qui nous sépare depuis de bien trop nombreuses lunes. Il y a beaucoup à dire sur le télétravail, et ton billet met en lumière de nombreux exemples. En ce qui me concerne, avec une équipe de travail en or, l’idée de ne plus me rendre au bureau quotidiennement ne me plaisait pas tant, sinon que pour le sentiment de sécurité sanitaire qu’elle apportait. Après 6 mois à la maison, je confirme que le rapport humain en présence me manque beaucoup, tant sur le plan professionnel que personnel. Pour le reste, je me considère privilégié de trouver de nombreux avantages au télétravail. Alors que mes aller-retour de la banlieue au Centre-ville s’annonçaient cauchemardesques en raison de l’interruption du service du train de banlieue jusqu’au centre-ville afin de faire place à la construction du REM, le renvoie à la maison m’a non seulement épargné les désagréments de cette nouvelle réalité, il m’a permis de récupérer 3 heures de temps de qualité quotidiennement ! Bon, une bonne partie de ce 3 heures a été rognée par des journées de travail plus longues, consacrées justement à la réponse de nos institutions à cette pandémie. N’empêche, ces heures récupérées ont permis de faire place à de longues marches matinales actives ou méditatives selon l’humeur du jour, dans la tranquillité d’un quartier où les arbres, les oiseaux, les lapins, les chats, les écureuils et la rivière pas trop loin étaient mis en valeur par l’absence de voiture et d’humains dans les rues. S. et moi avons la chance d’avoir un espace de vie qui s’est avéré parfait pour concilier cette nouvelle réalité du co-télétravail. Nous avons chacun nos espaces de travail, suffisamment distanciés pour ne pas nous envahir mutuellement avec nos téléconférences. Heureusement, parce que tu dois bien te douter de leur enchaînement quotidien ! Seul bémol en ce qui me concerne, mon espace « studio » pour la musique, mon espace administration personnelle pour les suivis financiers et la paperasse, et mon espace télétravail ne font qu’un, et il n’y a pas de fenêtre sur cet espace… il y a des moments où je n’ai plus tellement l’envie de m’y réfugier ;-) Côté santé on mange mieux… enfin, si on exclut les « cochonneries » dont on a un peu abusé dans les premières semaines du confinement, et une relative augmentation de consommation alcoolisées. On bouge plus : Plus de tango, qui n’est pas près de reprendre :-(, plus de cinéma, de théâtre, de spectacles à la petite église… il nous restent les marches et les trecks, le kayak (moins que je le voudrais), le vélo. Reste à voir si notre ardeur résistera à l’arrivée de la saison froide…

    Au final, bien que l’isolement social me pèse davantage depuis quelques semaines, ça va somme toute plutôt bien de mon côté. Prends soin de toi, et au plaisir de te revoir lorsque le rideau tombera sur cette période qui perturbe nos réalités.

    1. Quel bonheur de te lire Martin! Je suis allée deux fois au Complexe Guy-Favreau dernièrement (chez la dentiste) et c’était toute une déferlante de souvenirs! :) J’espère vraiment te revoir, ainsi que S. quand on aura vaincu la bête!

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