Pourquoi ma facture d’épicerie augmente?

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Pour répondre à cette question au magazine Moteur de recherche animé par Matthieu Dugal, j’ai comme chaque semaine fait des tonnes de lectures, puis tenté de brosser un portrait, bien incomplet, de la question. En voici quelques fragments et traces, en format dossier de recherche loooong sans images et avec coquilles, pour ceux qui veulent compléter l’écoute de notre duo conso (avec le collègue Stéphane Garneau) qu’on peut entendre ici en différé!

Historiquement, les crises – sanitaires, météorologiques ou géopolitiques – sont « localisées », n’affectant qu’une partie de l’écosystème alimentaire. La pandémie actuelle, au contraire, secoue la planète entière, déréglant à des degrés divers toutes les composantes de notre chaîne alimentaire, ce qui contribue de plusieurs façons à faire augmenter le prix des denrées. Et cette hausse se produit alors que l’économie est en récession et que le revenu disponible de millions de personnes ici et ailleurs sur la planète est à la baisse : une combinaison qui se traduit par un nombre croissant de personnes en situation d’insécurité alimentaire.

C’était déjà au programme que ça coûte plus cher!
Au début décembre 2019, le Financial Post titrait « Canadians to pay $487 more for groceries next year with biggest hikes to meat and veg[1] », ajoutant en sous-titre « Surges of up to 6% for meat and 4% for vegetables rising quicker than inflation[2] ».  Cet article rapportait les résultats du Canada’s Food Price Report préparé par l’Université Dalhousie d’Halifax et l’Université de Guelph (Sylvain Charlebois, entre autres).

Pour arriver à ce type de prédictions, les chercheurs calibrent leurs algorithmes d’intelligence artificielle et les nourrissent de nombreuses données, qui tiennent compte de plusieurs facteurs qui influencent les coûts, qu’ils soient météorologiques ou géopolitiques : accords de libre-échange, différends diplomatiques, instabilité de notre relation avec les États-Unis de Trump, catastrophes naturelles, conflits armés, maladies et épidémies, taux d’intérêts, politiques monétaires, tout ça se traduit en fluctuations dans notre panier d’épicerie.

La précédente édition avait fort bien prédit ce qui se passerait en alimentation, anticipant à 23 $ près la hausse moyenne annuelle du panier d’épicerie de 2019. Et chaque année, ils raffinent leur modèle : revenant sur leur sous-estimation, ils l’attribuent à trois événements de 2019, soit « des épidémies de maladie de la laitue romaine au Canada causées par E. coli, la peste porcine africaine sur le marché du porc et la perpétuelle volatilité du marché d’importation des produits de la mer ».

Pour cette année, la 10e édition du rapport anticipait que les impacts des changements climatiques seraient à surveiller, et je cite :

« En 2020, l’éléphant dans la pièce sera le changement climatique et ses répercussions sur nos systèmes alimentaires. Plus précisément, les systèmes alimentaires canadiens seront affectés par les changements climatiques, notamment les sécheresses et les incendies de forêt, les fortes précipitations, l’accès réduit à l’eau douce et l’élévation du niveau de la mer. Les modèles climatiques suggèrent que les régions agricoles du Canada ressentiront les effets d’une saison estivale plus sèche, de même que l’augmentation des précipitations au printemps et en hiver.  À l’avenir, les agriculteurs canadiens devront faire face à des défis en raison de rendements de récolte instables et imprévisibles, de menaces de vagues de chaleur pour le bétail, de la disponibilité de pâturages ainsi que d’épidémies de maladies et de parasites. »

Bref, plusieurs facteurs présents dans le paysage agroalimentaire devaient se traduire en une hausse moyenne de 4% de notre facture d’épicerie, déjà pas mal plus que le taux d’inflation générale anticipé. Et là, s’ajoute les effets de la pandémie.

Comment la production locale est-elle affectée? Et comment cela fait-il monter les prix?
Les restrictions importantes sur les déplacements en temps de pandémie compliquent le recours à de la main-d’œuvre étrangère, dont notre industrie agricole locale a terriblement besoin. Les Canadiens ne se ruent toujours pas aux champs, pas plus avant la pandémie que pendant, ces emplois étant très exigeants physiquement et peu rémunérés. Nos producteurs ne sont donc pas certains de pouvoir produire comme à l’habitude et même s’ils arrivaient à aménager leurs champs, planter et avoir une super saison au niveau de la culture, avec une météo de rêve, il est loin d’être certain qu’ils arriveraient à récolter le fruit de leurs labeurs et à nous l’apporter. Moins de récoltes veut dire moins d’offre, moins d’offres veut dire pression à la hausse pour la valeur de ces denrées.

Le recours à de la main-d’œuvre locale fait certes partie de la solution, mais soyons réaliste : on parle d’une main-d’œuvre moins qualifiée, souvent sans expérience, donc moins productive que la main-d’œuvre étrangère qui revient d’année en année, et qui travaille pour un salaire modeste, vivant sur place dans des conditions matérielles également modestes.

Enfin, pour les agriculteurs qui réussissent à obtenir le précieux apport de travailleurs, étrangers ou locaux, reste encore à mettre en place les mesures d’adaptation hygiénique, autant au niveau de la chaîne de travail que dans les zones d’hébergement et de restauration des employés.

Les agriculteurs ne pourront absorber les pertes de productivité et coûts supplémentaires sans augmenter, et ce probablement pendant plusieurs années, le prix des denrées.

Autre point qui ébranle les intervenants agroalimentaires d’ici : le quasi-arrêt des activités de restauration grand public (restaurants et hôtels) et corporatives (garderies, écoles, cafétéria de grandes entreprises) a mené à des surplus alimentaires importants. On a même dû détruire des denrées, aux États-Unis autant qu’au Canada, ce qui bien sûr cause des pertes importantes pour les producteurs et éleveurs.

Si parfois des surplus alimentaires peuvent se traduire en baisse de prix à court terme pour le consommateur alors qu’on essaie de les écouler, la situation présente risque plutôt d’avoir un effet haussier. Un producteur qui a dépensé pour produire des denrées et se voit obliger de les détruire sans en tirer un revenu, devra étaler la récupération de ses pertes pendant plusieurs années sur les denrées produites par la suite.

Enfin, les modifications dans les habitudes d’achat des consommateurs paniqués ont joué sur les systèmes alimentaires. Les comportements de stockage, liés à la peur de manquer de denrées autant qu’à celle de se faire contaminer à l’épicerie, mais également les changements de comportements alimentaires induits par le confinement (par exemple, le nouvel engouement pour le pain fait maison) ont eu un impact sur la disponibilité de certains produits et ultimement sur les coûts dans notre panier d’épicerie.

  • Le lait est ici encore un bon exemple. Pendant les 2 premières semaines de la pandémie, les gens stockaient énormément : la demande en lait de consommation était spectaculaire, avant de redescendre. Pour certains produits, une augmentation rapide de la production, pour répondre à la demande accrue subite, veut dire des coûts de temps supplémentaires et de l’embauche: ces frais ne sont pas répercutés à court terme, mais plutôt à moyen terme et souvent pendant une longue période.
  • Plusieurs consommateurs ont acheté des produits de marques différentes, et plus chères, quand ils ont été confrontés aux ruptures de stock de leurs denrées habituelles.
  • L’augmentation de la demande dans les épiceries, liée au fait que les gens cuisinent beaucoup plus en temps de confinement et ne cuisinent pas les mêmes choses, a aussi mis à rude épreuve l’organisation de ces lieux et la gestion de leurs inventaires, engendrant des coûts (j’en reparle plus loin).
  • Des consommateurs confrontés aux ruptures de stock ont décidé de se tourner vers des services spécialisés, qu’on pense aux boîtes repas autant qu’aux paniers Lufa, modifiant ainsi à la hausse leur budget bouffe (et créant une énorme pression sur ces entreprises où la demande a explosé).

Enfin, bien que les « circulaires » des épiceries n’aient pas cessé de proposer des produits « en spécial », ceux qui suivent ça de près remarquent qu’il y en a moins. Et même quand il y en a, je peux témoigner que mettre la main sur les produits offerts à rabais, c’est tout un projet comparativement à d’habitude! Dans ma dernière épicerie en ligne chez Maxi, j’avais que des fruits offerts à rabais : j’ai fait le saut quand j’ai vu que la barquette de bleuets en promotion à 1,67 $ avait été substituée pour une barquette de bleuets biologiques à 4,98 $! Ça fait cher le bleuet !!! Je n’aurais pas acheté la barquette à ce prix si j’avais eu le choix, parce que mon budget ne me le permet pas.

Et à l’extérieur du Québec? Du Canada?
Je n’entrerai pas dans une analyse détaillée des impacts de la pandémie sur les économies étrangères et leurs systèmes alimentaires : c’est essentiellement le même défi partout sur la planète, à des degrés divers, avec des effets similaires sur les coûts des denrées.

Heureusement, il ne semble pas y avoir de grands défis au niveau de la frontière canado-américaine, entre autres parce que les denrées ne sont pas suspectées d’être un vecteur de transmission. Selon le gouvernement du Canada, « At this time, COVID-19 is not affecting the import and export of food ». Ceci pourrait changer si cette frontière venait à se fermer partiellement ou entièrement.

Mentionnons cependant que certains pays ne sont plus capables d’exporter d’aussi grandes quantités de leurs produits, ce qui a des effets haussiers sur les achats. Ainsi, l’Inde, plus grand exportateur de riz au monde, a cessé de signer des contrats d’exportation pour cette denrée, arrivant difficilement à respecter ses engagements, la COVID-19 éprouvant sa production (main-d’œuvre manquante, installations fermées ou au ralenti, transport difficile). Avec pour conséquence qu’il faut importer temporairement notre riz d’autres pays, à un prix plus élevé, et la hausse sera sur notre facture d’épicerie plus tôt que tard. Et si la crise se prolonge, ce type de denrées importées pourrait être de plus en plus difficile à obtenir et sa valeur ira croissante.

Comment les activités de transformation influencent-elles, à la hausse, le prix des aliments?
Les activités de transformation ont été durement touchées dans certains secteurs, compte tenu de l’organisation physique du travail. Bien que les lieux où la nourriture est transformée sont censés appliquer des mesures d’hygiène très sévères, des éclosions de COVID-19 ont forcé la fermeture d’usines au Canada et aux États-Unis.

Ferrero Rocher de Brantford (Nutella…) a dû fermer à cause d’une éclosion de COVID 19. Le géant de la transformation de la viande, Cargill, a lui aussi eu une importante éclosion, avec des décès, dans ses installations de High River en Alberta. Et malgré les mesures prises, ensuite c’est son usine de Chambly au Québec qui a été fermée. Olymel aussi a été touchée. Il y en a eu – et il y en aura encore – plusieurs autres.

La fermeture de lieux où la viande est transformée ne devrait pas mener à des pénuries pour le moment, car la chaîne d’approvisionnement est encore capable d’absorber des fluctuations en ayant recours à l’importation, mais ça se traduit en impacts importants pour les éleveurs comme l’ont rapporté de nombreux médias :

Comme notre lentille d’analyse est liée au prix du panier d’épicerie, je vais ignorer les (énormes) questions éthiques liées à l’abattage de 100 000 porcs en santé… La réalité crue, c’est que les porcs – ou le bétail – qui ont atteint leur taille optimale, et qui ne peuvent être acheminés vers l’abattoir à cause des éclosions dans ces usines de transformation, doivent être logés et nourris plus longtemps, alors qu’ils continuent de croître prenant de plus en plus de place. Dans certains cas, il y a même augmentation du cheptel : les truies ont donné des porcelets qui eux aussi croissent et exigent de plus en plus d’espace et de ressources! Bref, les installations ont des limites au nombre de bêtes qu’elles peuvent garder dans des conditions acceptables (acceptables selon les standards de l’industrie…).

La situation est la même ailleurs au Canada, comme le rapportait La Presse : « Gary Stordy, du Conseil canadien du porc, a mentionné que les surplus dans l’est du pays se chiffrent maintenant à 140 000 bêtes, et que les pertes pour l’industrie pourraient atteindre 675 millions en 2020 ».

Et alors qu’on parle d’abattre des bêtes en santé dans nos fermes, McDonald Canada – dont la politique est de n’acheter que du bœuf canadien –, en réponse aux difficultés d’approvisionnement local en bœuf, se met à en importer de l’extérieur du Canada! On peut s’imaginer que le coût de cette opération sera refilé aux consommateurs d’une façon ou d’une autre.

Bref, non seulement on va payer plus cher dès maintenant pour des denrées importées, mais en plus, ensuite, on risque de payer plus cher pour la viande d’ici, les producteurs n’ayant d’autres choix pour éponger leurs pertes que de les répercuter dans leurs tarifs pendant des années…

(J’en profite pour faire une parenthèse : ces problèmes « d »embouteillage » sont en partie liés au fait que les animaux pour consommation doivent être tués en abattoir obligatoirement, dans un nombre très limité de places. Cargill à High River serait responsable de 70 % de la transformation de la viande… La concentration et la centralisation ne sont pas toujours synonymes d’agilité (parlez-en aux gens dans le milieu de la santé!).)

Par ailleurs, la mise en place d’une plus grande distance entre les travailleurs dans les installations de transformation et la réduction du personnel (absent pour cause de COVID ou réduit pour respecter les normes de distanciation) affectent la productivité. Qui dit moins de productivité, dit hausse des coûts.

Et, chose que j’ignorais (merci MacLeans!), cela affecte parfois le coût de transport de certaines denrées que nous importons des États-Unis par camion. En effet, il semblerait que l’industrie du camionnage transporte vers les États-Unis des denrées alimentaires que nous y exportons, et une fois vidé, le camion est rempli là-bas de denrées alimentaires que nous importons. Ainsi, les frais du déplacement sont répartis sur plus de denrées. Les problèmes dans nos usines de transformation font que des camions sont partis vides du Canada pour aller chercher des denrées américaines. Et un camion vide à l’aller, c’est 3000 $, voire 5000 $ de frais de plus, à récupérer sur la vente des denrées importées…

Les activités de distribution
Plusieurs intervenants agroalimentaires spécialisés se sont retrouvés avec des surplus et ont dû adapter leurs activités pour passer de l’approvisionnement institutionnel à la distribution de leurs produits dans les commerces de détail ou même à la vente directe aux consommateurs, alors que ce n’est vraiment pas leur « business » habituelle.

Un bon exemple est le distributeur de fruits et légumes Hector Larivée, en opérations depuis 77 ans, qui décrit encore ses activités comme suit sur son site web : « Tant dans les restaurants « nappe blanche » que dans les grandes institutions, sur les tables de bistro comme dans les cafétérias, les hôtels, les chaînes de restaurants et les restos de quartier, nous vous livrerons rapidement tous les fruits et légumes de première qualité que vous recherchez et nous vous ferons découvrir de nouveaux produits! ».

Eh bien tout à coup, Hector Larivée est devenu en un temps record – et je cite son site web – « L’épicerie virtuelle des Montréalais »! On peut s’y faire préparer une commande de fruits, légumes et produits essentiels et aller le cueillir chez eux ou, pour les épiceries de 199 $ et plus, faire des achats personnalisés, livrés à Montréal, Laval, sur la Rive-Nord et la Rive-Sud dans les 1 à 2 jours ouvrables suivants.

C’est une excellente source d’approvisionnement pour les gens de la région de Montréal, qui s’ajoute aux épiceries, surtout si on ne veut pas sortir de chez soi, mais ce n’est pas nécessairement moins cher. Ainsi, le prix de 5 avocats Hass cette semaine y était de 7,95 $, alors que chez IGA la même sorte d’avocats était en « spécial » à 5,99 $ (prix régulier 6,99$).

Les épiceries elles-mêmes
Enfin, les épiceries elles-mêmes vivent des défis logistiques inattendus, la demande explosant, les consommateurs s’y ruant physiquement ou en ligne, achetant comme à la veille de Noël, et ce pendant plusieurs journées d’affilée.

Les épiciers ont dû embaucher et former du personnel supplémentaire, modifier leurs sites web, bonifier leurs services de cueillette en magasin et de livraison, adapter l’accueil des clients à l’extérieur et à l’intérieur, augmenter la sécurité, instaurer des mesures d’hygiène additionnelles, offrir des augmentations à leur personnel, trouver des manières de les protéger, fermer et désinfecter dans certains cas d’éclosion. Bref, bien que les revenus aient augmenté de manière importante (Empire Company [Sobeys] parle de 37 % d’augmentation pour les 4 semaines suivant le 8 mars!), ça vient avec des dépenses d’opération nouvelles ou accrues. Les épiceries ne sont pas des organismes à but non lucratifs : si leur profitabilité est affectée, ces coûts nous sont refilés.

De plus, l’explosion de la demande et les défis d’approvisionnement affectent la disponibilité des denrées offertes « à rabais » comme je l’ai mentionné plus haut, mais également la disponibilité des denrées à prix régulier, forçant le consommateur à faire des choix parfois plus dispendieux. Pour vous donner une idée, au moment de ma dernière commande en ligne au Maxi de Lachute, le magasin m’a envoyé la confirmation que ma commande était prête pour le ramassage mais que 19 produits manquaient! J’ai ensuite fait la file dehors chez IGA pour tenter de compléter mes achats, même si ce détaillant vend ses produits plus chers… et il a encore fallu que je me rende chez Super C pour trouver du fromage cottage pour mon papa! J’ai pris les deux derniers pots sans regarder le prix, croyez-moi! Mon épicerie, malgré ma planification rigoureuse, a coûté plus que prévu (et ça m’a pris des heures !!!).

Insécurité alimentaire
Déjà avant la pandémie, des millions de personnes sur la planète avaient faim. Et pas qu’ailleurs. L’insécurité alimentaire touche de nombreuses personnes ici : les personnes en situation d’itinérance, de nouveaux arrivants peu nantis, des mamans et des papas avec deux jobs pas payantes et un appart trop cher, des personnes ayant subi des problèmes de santé, des pigistes, des artistes, etc. Et ça ne touche pas que les grands : le Club des petits déjeuners nourrit le matin en temps normal plus de 245 000 enfants canadiens dans plus de 1800 écoles, dont 32 000 enfants québécois. [si vous écoutez la version balado de notre duo conso à Rad-Can, vous m’entendrez dire erronément 240 000 enfants québécois; merci au Club des petits déjeuners de m’avoir contactée pour corriger le tout].

La pandémie provoque des pressions haussières sur le panier d’épicerie, en même temps qu’elle réduit dans bien des cas le revenu disponible. Pour ceux qui en avaient avant, les dépenses en restaurant, les frais de transport et plusieurs autres dépenses ont été réduites, voire éliminées, certes, mais ce n’est pas toujours suffisant pour compenser la baisse de leurs revenus, et ce malgré les prestations d’urgence : ils s’ajoutent alors aux personnes en situation d’insécurité alimentaire. Et pour ceux qui arrivaient déjà difficilement à manger à leur faim, le tableau est encore pire.

Conséquence? Les banques alimentaires du Québec et du Canada sont plus sollicitées, alors que les dons en argent sont à la baisse et que les bénévoles manquent parfois, comme l’ont rapporté les collègues de la CBC et de nombreux autres. Après des appels à l’aide, elles ont reçu d’importants dons ponctuels et des appuis financiers gouvernementaux qui leur ont permis jusqu’à maintenant de répondre aux besoins, mais leur posture reste fragile.  Et la demande d’aide accrue risque de perdurer : certains arriveront au bout de leur fonds d’urgence sans que le travail ne reprenne dans leur secteur (je pense entre autres à tous mes collègues des arts de la scène) et plusieurs travailleurs s’ajouteront au nombre des personnes déjà vulnérables, si des entreprises ferment de manière permanente, à bout de liquidité ou faute d’économie au ralenti.

Par ailleurs, dans certaines régions du monde, par exemple sur le continent africain et dans des zones de conflits armés, la situation déjà difficile ne va aller qu’en se dégradant. Le Forum mondial économique a tiré la sonnette d’alarme, rappelant que certaines régions incapables d’importer ou d’importer à un prix acceptable, pourraient avoir à composer avec une crise alimentaire majeure : « More widely, the United Nations says coronavirus disruptions could double the number of people globally without reliable access to nutritious food, to 265 million ». Et je ne suis pas convaincue que les pays riches, eux-mêmes ébranlés par la pandémie, viendront en aide de façon probante à ces millions de personnes affamées en temps opportun. Disons que l’atteinte de l’ambitieux objectif du PNUD de mettre un terme à la faim et à la malnutrition dans le monde d’ici 2030 me semble tout à coup hors de portée.

Conclusions et questionnement sur le gaspillage alimentaire
Ce ne sont pas les facteurs qui manquent pour faire augmenter notre facture d’épicerie : ils sont partout, à toutes les étapes de la chaîne alimentaire, et leurs effets pourraient se faire sentir longtemps.

Il se peut que cette crise nous amène à développer notre industrie agroalimentaire locale, pour réduire notre dépendance envers l’importation. Mais ce sera un grand défi de le faire sans encore augmenter le coût du panier d’épicerie : pour le moment, trop souvent les produits locaux coûtent plus chers que les produits importés, et pour ceux et celles dont le budget est limité, malgré les meilleures intentions (d’achat local, de réduction de l’empreinte écologique), ces produits restent inaccessibles.

Il nous faudrait en tous cas faire preuve de beaucoup d’imagination pour augmenter la diversité de notre production agroalimentaire et innover pour avoir une productivité élevée adaptée à nos conditions environnementales. Il faudrait également travailler très fort pour rendre les métiers de l’agriculture attirants pour un plus grand nombre : on part de loin! Et ultimement, il nous faudrait accepter d’investir une plus grande part de l’assiette fiscale dans cette industrie, tout en respectant cependant les accords de libre-échange (ici mon chum économiste voudrait que je vous parle de dumping, mais ça suffit pour aujourd’hui!). Tout ça en assumant nos responsabilités à l’égard des plus vulnérables d’ici et d’ailleurs : gros programme.

Je termine avec un point qui me chicote : le gaspillage alimentaire. On en a parlé beaucoup ces dernières années, compte tenu des changements climatiques, et là ça me frappe de voir que la bouffe ne manque pas du tout au Canada, qu’on est même contraints d’en détruire. Je pense par exemple au 35 % du marché du lait qui va vers les restaurants et le corporatif et à ces millions de litres détruits : comment se fait-il qu’il nous en faille beaucoup plus en temps normal que maintenant, pour le même nombre de personnes? Les Québécois boivent plus de lait au resto et au bureau en temps normal? En pandémie ils se privent? Ou bien il y a plus de gaspillage en temps normal? J’ai l’impression qu’une partie de la réponse se trouve dans nos bacs de compost et nos sites d’enfouissement… Peut-être est-ce l’occasion de tirer quelques leçons durables pour réduire, ne serait-ce qu’un tout petit peu, notre gaspillage alimentaire et ainsi diminuer notre empreinte environnementale, quand un jour le monde reprendra un rythme plus soutenu.

[1] Les Canadiens paieront 487 $ de plus pour leur épicerie l’an prochain, les plus grandes augmentations touchant la viande et les légumes (ma traduction)

[2] Des hausses pouvant atteindre 6 % pour la viande et 4 % pour les légumes, dépassant ainsi l’inflation (ma traduction)

Source de l’image en entête : Giphy.com

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